Éditorial

Il faut aller de l’avant dans le renouvellement de la pratique architecturale
Philippe Drolet, architecte
Conseiller professionnel

Depuis plus de deux ans, la relance des concours d’architecture pour les bâtiments culturels a un effet certain sur la pratique architecturale au Québec. Il est clair que ces changements sont pour le mieux.

Il s’agit maintenant de faire en sorte que tous ceux touchés par cette nouvelle façon de procéder, autant du côté des promoteurs que des architectes, se dirigent vers un nouvel équilibre.

Éditorial publié dans la revue
ARQ , no. 121, novembre 2002


En ce moment, les nouveaux modes d’attribution des commandes profitent aux différents acteurs mais en déstabilisent également plusieurs. Une chose est claire : les choses bougent, et vite. Sur le terrain, les débats sont animés. Les citoyens interviennent aux conseils de ville. Les promoteurs posent des questions à propos du bâti architectural. De plus en plus d’acteurs sont impliqués lors d’un projet architectural, ce qui s’avère un formidable exercice de rassemblement collectif. Pour s’en convaincre, on a qu’à penser aux derniers projets qui ont beaucoup fait jaser dernièrement dont Benny Farm et le Mégahôpital McGill. Deux beaux exemples qui démontrent que la population est de plus en plus sensible à la question environnementale. Le message est sans équivoque : il n’est plus possible de construire à qui mieux mieux. Les médias transmettent l’idée qu’il faut dorénavant consacrer autant d’énergie à la conception qu’à la réalisation d'un projet architectural.

Pour ce faire, il n’y a aucun doute qu’il faille aller de l’avant avec des formules de concours architecturaux. La profession profite déjà énormément de la vague de concours d’architecture initiée par le ministère de la Culture et des Communications. Tous connaissent l’obligation pour les promoteurs à tenir des concours pour les bâtiments culturels de plus de deux millions de dollars et la prétention d’étendre le règlement à tous les édifices publics. Cette édition de la Revue ARQ, et quelques autres auparavant, font d’ailleurs état de la popularité de ces concours.

Il y a longtemps que la conjoncture n’a été meilleure pour le développement de la profession. Or, il ne suffit pas de s’en contenter bêtement sinon d’encourager cette tendance qui donne enfin une chance de sortir de l’impasse où les architectes étaient plongés depuis longtemps. Comment? Entre autres, faire des concours architecturaux un des modes d’attributions de la commande, qui va de soi pour tous les intervenants, dont un premier choix pour les promoteurs, et une routine pour les architectes. C’est alors que tous seront gagnants.

Des pistes sont déjà lancées pour atteindre ces objectifs. Notre jeune expérience prouve toutefois que les concours de types ouverts anonymes ne peuvent devenir la norme. Ils coûtent trop cher et même s’ils demeurent un excellent exercice conceptuel, à long terme, ils ne peuvent que contribuer à gaspiller l’énergie des professionnels. Comme l’a rapporté Jean-Pierre Chupin à La Presse, les dirigeants de Châteauguay avaient pour près de 300 000 dollars de matière grise sur la table, gratuitement! Il serait de mise que les promoteurs paient pour les idées étalées sur la table. L’objectif est de varier les formules, concours d’idées, concours de projet, préserver la formule des concours ouverts anonymes pour des occasions particulières, et de lancer des concours avec une présélection de trois à une vingtaine de candidats, adéquatement rémunérés. Une juste cadence deviendrait alors soutenable et pour les maîtres d’ouvrage et pour les architectes.
Parce qu’en ce moment, il y a déséquilibre. Les promoteurs sont contents, mais obtiennent beaucoup trop pour ce qu’ils demandent ! Il y a aussi menace d’essoufflement ou de ressentiment de la part des architectes, à force de participer aux concours sans obtenir de reconnaissance.

Ceux-ci doivent toutefois comprendre les défis que posent les nouveaux modes d’attribution des commandes. Soit de concevoir les concours autrement qu’une occasion d’épater la galerie. Longtemps, les concours ont été considérés comme étant une occasion extraordinaire de faire évoluer la théorie. Constat? les architectes démontrent une tendance à la défonce au lieu de simplement concevoir une réponse au besoin de la collectivité, le premier élément à prendre en compte lors d’une commande architecturale.

Quelle est donc la norme? réussir à participer à un concours en couvrant les frais occasionnés, sans s’endetter. Les architectes peuvent également imaginer l’exercice comme une activité se situant entre l’offre de service, et l’exercice d’architecture pur. L’équilibre se situe quelque part entre les deux. Les concours, sauf exception, pourront ainsi devenir une activité de routine, plus faciles à réaliser, comme on le fait en France, par exemple.

Déjà, des efforts ont été entrepris pour faciliter la participation aux concours, comme la standardisation des procédures. Par exemple, le dossier de candidature ou les pré-esquisses doivent toujours se présenter d’égale façon, d’une fois à l’autre. Une autre proposition est à l’étude pour permettre aux participants de communiquer seulement la première section du dossier de candidature, qui décrit par exemple l’approche conceptuelle, laissant les autres informations disponibles pour consultation sur le site WEB de l’entreprise candidate. Une simple amélioration qui permettrait d’économiser des ressources.

D’autres avenues sont considérées comme celle de mettre en place au Québec un concours du style Europan, la formule européenne de concours d’architecture annuel pour les moins de 35 ans (concours ouvert anonyme). Il s’avère primordial de créer un espace d’exercice pour les jeunes, ce dont certains architectes n’ont malheureusement pu bénéficier à leur époque. Certains éprouvent d’ailleurs plus de difficultés aujourd’hui à s’adapter aux nouvelles façons de faire. Il est bien de rappeler que la transition n’est pas facile. Il faut demeurer patient et surtout, persévérer dans la pratique.

Parce que le résultat désiré vaut l’effort : améliorer le bâti architectural au Québec et permettre un choix éclairé au public de plus en plus large concerné par la question architecturale.

11 novembre 2002